«Ouvrez la cage aux folles»

Caméra-stylo, programme n°104 |

Durant des décennies, les homosexuels ont été interdits d’écran. Et s’ils étaient (à peine) tolérés, c’était à la condition expresse de souscrire à des stéréotypes ambiants qui enferment encore aujourd’hui gays et lesbiennes dans un carcan de clichés réducteurs. Eh oui, du couple formé par Zaza et Renato dans «La cage aux folles»(1978) au ridicule Jar Jar Binks de «Star Wars: la menace fantôme» (1999), la liste des «outrages» est bien loin d’être close – il faut donc prendre à la lettre l’intitulé du cycle de Passion Cinéma!

Allusions réparatrices

De manière généralisée, le cinéma «industriel» a occulté toute représentation de l’homosexualité. Partant, un grand nombre de cinéastes ont dû taire leur singularité ou alors composer subtilement avec l’interdit pour, quand bien même, glisser quelques allusions réparatrices. Gay dans l’âme, l’immense Howard Hawks a déployé des trésors d’ingéniosité pour faire allusion à l’homosexualité de tel ou tel de ses personnage, mais sans jamais l’identifier et encore moins la nommer! Il a grimé à plus d’une reprise l’acteur secondaire Walter Brennan comme un vieux grand-père, pour faire passer le profil un brin ambigu de ses relations avec les «rôles principaux» tenus par Gary Cooper et John Wayne dans Sergent York (1941), La Rivière rouge (1946) ou Rio Bravo (1958) — alors que le pauvre Brennan n’était guère plus âgé que ces derniers! Dans le même esprit de résistance, une star comique comme Danny Kaye avait mis au point une stratégie d’évitement des étreintes féminines qu’il arrivait à imposer à tous les cinéastes qui le dirigeaient.

Ben Hur… Arrête ton char!

L’écrivain Gore Vidal, scénariste de «Ben Hur», alla encore plus loin en proposant à William Wyler de faire clandestinement du héros interprété par Charlton Heston un ancien amant du «méchant» Messala. Vu sous cet angle, la rivalité qui les oppose prend un relief passionnant. Bien que se disant parfaitement hétérosexuel, Wyler tira habilement parti de cet élément biographique resté secret en mettant l’acteur qui jouait le rôle de Messala (Stephen Boyd) dans la confidence, alors qu’Heston demeura dans l’ignorance jusqu’à la fin du tournage. Ce faisant, le cinéaste obtint une ambiguïté qui releva (un peu) le propos édifiant de ce péplum tourné à la gloire du christianisme. Si Hollywood table aujourd’hui fort opportunément sur une certaine libération des mœurs, n’oublions pas que l’interdit prévaut encore aujourd’hui en Inde et en Chine, qui sont respectivement les deuxième et troisième grandes puissances économiques du Septième Art – obligeant en 1997 un Wong Kar-Wai à tourner «Happy Together» en Argentine!

Roger-Hugues Lambert… in memoriam!

Une fois n’est pas coutume, Passion Cinéma souhaite dédier ce cycle des plus vertueux à la mémoire d’un acteur aujourd’hui oublié, Roger-Hugues Lambert qui fut arrêté par la Gestapo en 1942, au beau milieu du tournage d’un film par ailleurs épouvantablement pétainiste où il jouait le rôle de l’aviateur Mermoz. Dénoncé pour homosexualité, Lambert fut incarcéré à Drancy puis déporté dans un camp de concentration dont il ne revint pas. Indifférent à son sort, le producteur le fit remplacer par un autre acteur, un certain Henri Vidal. On s’aperçut alors que la voix du remplaçant ne «raccordait» pas du tout avec celle du pauvre Lambert. Qu’à cela ne tienne, le producteur réussit à faire synchroniser clandestinement par Lambert les scènes tournées avec Vidal… En tendant au futur déporté un micro à travers les barbelés de Drancy!

Vincent Adatte