«¡Olé España!»

Caméra-stylo, programme n°102 |

Longtemps le cinéma espagnol a vécu sous le boisseau de la censure franquiste. Pour la propagande, tout Espagnol était “moitié moine, moitié soldat”. Et pendant des décennies, les seules œuvres tolérées par le régime étaient des apologies de l’Histoire castillane, des mélos religieux, des comédies musicales rétro ou des films d’aventures hollywoodiens (mal) doublés. Le seul vrai cinéma espagnol fut celui de la résistance extérieure (Luis Buñuel, depuis le Mexique puis Paris) ou celui qui, de l’intérieur, disait tout bas son désir de voir l’Espagne se libérer (personnifié par les Luis García Berlanga, Juan Antonio Bardem, Carlos Saura, Victor Erice, etc.).

Pas de “Movida” pour le cinéma

Après la mort de Franco, en 1975, l’Espagne de la culture se mit en mouvement: ce fut la “Movida” dont parlent les chroniques. Théâtre, danse, arts plastiques ou visuels, partout, les artistes espagnols ont laissé libre cours à leur indépendance retrouvée avec une énergie des plus réjouissantes. Curieusement le cinéma n’a pas vraiment suivi cette mouvance – exception faite du génial Pedro Almodovar! Ces dernières années, l’industrie cinématographique espagnole connaît pourtant une grande vigueur. Elle co-produit ainsi très souvent avec d’autres pays européens et plus encore (par lien naturel) avec les pays d’Amérique du Sud – à l’exemple de “L’échine du diable”, un thriller fantastique tourné en Espagne par le Mexicain Guillermo del Toro, que l’on pourra découvrir en grande avant-première. Et toujours plus nombreux sont les films espagnols à être vus et appréciés par le public indigène, mais ces œuvres sont pour la plupart mineures et très peu exportables – comédies populaires, soap-opéras télévisés ou clones hollywoodiens qui, en somme, perpétuent l’idéal “national-catholique” de jadis.

Recha, Medem et les autres

Apparemment “libérés”, maints cinéastes ibériques ont pourtant choisi de demeurer dans le carcan (confortable) du passé, en optant pour une voie plus commerciale que culturelle, avec comme modèle de référence la télévision et le cinéma américain. Ses stars (Antonio Banderas, Penelope Cruz, Javier Bardem) font carrière aux Etats-Unis. Idem pour des réalisateurs comme Alejandro Aménabar dont “Abre los ojos” a été métamorphosé en “Vanilla Sky” par les bons soins de Tom Cruise, et qui vient de signer avec “Les autres” un des meilleurs “thrillers” fantastiques de… Hollywood! Cet exode ne parvient toutefois pas à occulter un réel frémissement, mais qui provient surtout des régions périphériques de la péninsule, les plus “autonomes” (dans tous les sens du terme).

Font leur apparition dans les festivals internationaux de nouveaux venus qui n’ont rien à envier à leurs collègues étrangers. A Berlin, l’Andalou Benito Zambrano avec le poignant “Solas” ou le Basque Julio Medem avec “Lucia y el sexo” (présenté ici en grande première); à Cannes, la comédienne Icíar Bollaín, basque elle aussi, avec le brillant “Flores de otro mondo”, ou le Catalan Marc Recha avec “Pau et son frère” (présenté en Suisse grâce aux efforts conjugués de Passion Cinéma et du cinéma Spoutnik à Genève). Découvert à Locarno avec “El cielo sube” et “L’arbre des cerises”), Recha se considère volontiers comme un “franc-tireur”; digne émule de d’Eustache, Rossellini ou Cassavetes, il redonne aujourd’hui un nouvel élan à un cinéma espagnol qui en avait bien besoin.

Frédéric Maire