«Mondociné?»

Caméra-stylo, programme n°123 |

Alors vin et cinéma… Même combat? Comme le nectar cher à Bacchus, le Septième Art est-il en passe d’être mondialisé? Découvrirons-nous sous peu des films absolument identiques dans leurs formes et leurs contenus, de Bangkok à Valenciennes? Du point de vue statistique, le mal semble bel et bien fait: les productions faites au moule hollywoodien se taillent beaucoup plus que la part du lion. Régulièrement, les films américains trustent les premières places du Top 30 planétaire, à l’exception de la Chine et de la Corée du Sud (mais cela ne saurait durer). De fait, le phénomène n’est pas nouveau, sur le plan des chiffres s’entend: dès 1910, les Etats-Unis ont en effet dicté le rythme de la marche triomphale du cinéma, balayant les prétentions (certes toutes aussi hégémoniques) de la vieille Europe qui tenait auparavant le haut du pavé. Toujours en 1910, le producteur américain d’origine allemande Carl Laemmle crée la notion de star-system en levant l’anonymat des acteurs jusqu’alors imposé par les sociétés de production. Exploitation géniale du phénomène d’identification propre au cinéma, la starisation connaît aussitôt une fortune mondiale qui réduit sérieusement les prérogatives des cinéastes dès lors ravalés au rang de simples faire-valoir!

Un but d’intégration

Pendant les années vingt, Hollywood érige comme une norme quasi absolue la notion de genre (comédie, western, mélodrame, etc.) qui va exercer une terrible contrainte sur les réalisateurs, lesquels doivent désormais se soumettre à un code pré-établi. Des milliers de films, aujourd’hui oubliés, vont être dès lors frappés du sceau de cette uniformisation généralisée. Celle-ci poursuit clairement un but d’intégration. Il s’agit de créer un imaginaire collectif qui puisse être commun aux millions d’immigrés porteurs de cultures différentes et appelés à former le «peuple américain». Devant pareil enjeu (la création d’un peuple), les aspirations personnelles des cinéastes ne pèsent pas lourd. Seuls ceux qui sont capables de jouer avec les codes des genres et le statut des stars parviennent à élaborer une œuvre digne de ce nom (John Ford, Howard Hawks, King Vidor, George Cukor, Frank Capra, etc.).

Hégémonie esthétique

Au jour d’aujourd’hui, cet ouvrage semble terminé. Le peuple des Etats-Unis est un fantasme qui a pris racine. Le processus d’uniformisation se poursuit pourtant. Le projet d’intégration, inséparable de la création de la nation américaine, s’est aujourd’hui mué en entreprise de domination des imaginaires collectifs et individuels de toute la planète. Cette volonté d’hégémonie esthétique produit des effets spectaculaires. Même si l’Europe brandit fièrement l’étendard de l’«exception culturelle», maints de ses cinéastes ont déjà complètement intériorisé le modèle dominant à succès (Luc Besson et consorts). Dans le très salutaire «Mondovino», le réalisateur Jonathan Nossiter montre que les grands propriétaires bordelais ont fait exactement pareil avec leurs grands crus en les adaptant aux desiderata du dégustateur américain Robert Parker, gage d’une rentabilité assurée! Rassurez-vous, il existe encore quelques résistants, tant dans le domaine vinicole que cinématographique, comme le prouve ce cycle de Passion Cinéma qui présente des films garantis non «parkerisés».

Vincent Adatte