«L’Ouest, le vrai?»

Caméra-stylo, programme 84 |

Constitués par une myriade de communautés disparates, les États-Unis ont longtemps cherché un récit des origines à même de légitimer l’«Union» et sa violence fondatrice… Fait unique dans l’histoire de nos sociétés, ce récit des origines a pu s’incarner tout entier (ou presque) dans une forme cinématographique particulière… le western. Aussi ancien que le cinéma américain, ce genre spécifique a évolué comme tous les genres cinématographiques selon un mode «darwinien», à savoir: naissance, développement, extinction, le tout en près de 7000 films!

Du muet au parlant

De manière révélatrice, la mise en légende de la conquête héroïque des pionniers (entre 1860 et 1890) a coïncidé, aux États-Unis, avec l’élaboration des codes de la narration cinématographique. «L’attaque du grand rapide» (1903) de Edwin S. Porter est considéré comme le premier western «reconnaissable» de l’ère muette. Aussitôt, les imitations se multiplient; très vite, le genre se codifie, trouve ses décors et, surtout, ses personnages: le gentil hors-la loi implacable, la jeune fille pure, le shérif, le traître, etc.. A relever que les Indiens y sont plutôt bonasses, car la violence fondatrice des pionniers est encore dans toutes les mémoires, ce qui explique cette volonté de consensus! Malgré ou à cause de son succès populaire, le western est cependant méprisé par les producteurs qui ne le jugent pas assez prestigieux.

L’âge d’or

Avec l’arrivée du Parlant, le genre connaît même une disgrâce: à cause de ses grands espaces, le western, peu bavard de surcroît, sied mal au tournage en studio, condition sine qua non pour l’enregistrement des balbutiements du cinéma sonore. Les progrès techniques et, surtout, la crise sociale des années trente vont changer la donne: c’est qu’il faut impérativement renouer avec le mythe de la création de la communauté «une et indivisible»… pour resserrer les boulons! Le western répond, et comment, à cette demande! Commence l’âge d’or du genre: à partir de 1937, il trouve ses grands cinéastes: Howard Hawks, Raoul Walsh, King Vidor et John Ford dont «La chevauchée fantastique» (1939) incarne le modèle par excellence! Actualité oblige, (la deuxième guerre mondiale menace), le récit des origines passe désormais par l’exclusion de l’autre et les Indiens deviennent les «méchants» à sacrifier sur l’autel du mythe!

La fin du genre

Après-guerre, le western est enfin devenu un produit de prestige aux yeux des producteurs. Apparaît alors ce que l’essayiste André Bazin a appelé le «surwestern» — un western qui aurait «honte» de n’être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire d’ordre esthétique, sociologique, moral, psychologique, politique, érotique, etc.. Devenu un prétexte à divers types de réflexion ( sur le racisme, l’éthique, la justice, etc. ), le western connaît entre 1950 et 1965 une période d’une richesse exceptionnelle grâce à des nouveaux-venus qui ont pour noms Anthony Mann, Robert Aldrich ou Bud Boetticher. Trop intelligent, le «surwestern» va entraîner un processus de démy(s)tification, une perte d’«innocence» fatale qui, à la longue, va causer la fin du genre.

Vincent Adatte