«Le Festival du Sud 2007»

Caméra-stylo, programme n°141 |

Allant au-devant de mutations dont personne ne peut encore mesurer vraiment les conséquences, l’industrie cinématographique, à l’image de l’arbre qui se sentant menacé multiplie ses fruits, produit à n’en plus finir… Il y a deux ou trois ans, on se réjouissait à juste titre que les Films du Sud constituent désormais une part de marché non négligeable! Aujourd’hui, la situation incline à moins d’optimisme. Croulant sous une avalanche de titres ronflants à sortir impérativement, les distributeurs hésitent à nouveau à acquérir les droits d’œuvres trop «étrangères» à la culture du spectateur et donc très risquées sur le plan de leur rentabilité. Compréhensible, cette frilosité s’exerce surtout aux dépens du cinéma asiatique, ce qui est très malheureux en regard de sa qualité actuelle. Mais elle prend un tour encore plus dramatique quand elle nous empêche de voir un chef-d’œuvre comme «Les climats» du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, pourtant unanimement salué à Cannes. Grâce à Passion Cinéma, le spectateur neuchâtelois pourra néanmoins découvrir en toute exclusivité ce film à nul autre pareil qui est à ranger parmi les plus grandes réussites de la dernière décennie. Partant, les distributeurs qui continuent à œuvrer pour la diversité méritent toute notre reconnaissance!

Puissance du cinéma

Sans forfanterie, la sélection 2007 est d’une très grande tenue. Les dix films proposés forment en effet une palette impressionnante qui nous rappelle que le cinéma ne vise pas au seul divertissement, mais peut être source de connaissance, d’expérience. A l’heure où la télévision sombre dans une complaisance indicible, il importe de rappeler cette évidence qui ne semble plus si manifeste. Sous certaines latitudes, faire un film reste encore un acte impérieux qui peut exposer son auteur… Pour avoir montré Tienanmen et des jeunes qui font l’amour dans son fiévreux et indispensable «Une jeunesse chinoise», Lou Ye vient de récolter cinq ans d’interdiction de tournage! Dans le contexte tchadien, l’extraordinaire «Daratt» procède d’une urgence absolue, dans le sens où l’idée de réconciliation doit encore se frayer un sacré chemin dans ce pays marqué par une guerre civile épouvantable. L’incroyable, c’est la manière dont Mahamat-Saleh Haroun a décidé de montrer la possibilité du pardon, sans angélisme, mais avec une foi indéfectible en la puissance d’incarnation du cinéma!

Le Sud qui expérimente

Sans ironie, il apparaît aussi que les cinéastes du Sud sont de grands expérimentateurs des nouvelles technologies, peut-être même plus que leurs homologues hollywoodiens. Un cliché trop répandu voudrait qu’ils aient fait le choix du numérique pour des raisons économiques, pratiquant sous la contrainte un cinéma du pauvre. Rien n’est moins sûr! Il suffit de voir comment le trop rare Kohei Oguri a maîtrisé la tonalité très particulière de l’image digitale pour matérialiser l’entre-deux fantastique qui caractérise sa «Forêt oubliée». Dans «Les climats», Nuri Bilge Ceylan utilise l’immédiateté insoutenable de la haute définition (HD) dont le rendu exact met en relief la dissolution sentimentale du protagoniste masculin. La perte de l’aura amoureuse n’aura jamais été mieux signifiée au cinéma… C’est sûr, cette inventivité prodigieuse s’affranchit de toute considération économique, enfin presque!

Vincent Adatte