«Des origines…»

Caméra-stylo, programme n°169 |

En cinq films différant du tout au tout, Passion Cinéma lie septième art et quête des origines. Celle-ci constitue souvent un long cortège de déceptions et de souffrances, dans le sens où elle procède la plupart du temps d’une part d’imagination parfois dévastatrice – quand elle va jusqu’à inventer un grand dessein pour un peuple, notion tout aussi fantaisiste mais à coup sûr formatrice si elle s’accompagne d’une exigence de vérité. Comme le roman, le cinéma sait parfaitement la manière de jouer avec la temporalité et ne s’en est pas privé, devenant l’un des complices en chef de l’entretien souvent inconsidéré du fantasme originaire. Ainsi, un grand genre cinématographique comme le western a été entièrement dévolu ou presque à attester de l’acte de fondation des Etats-Unis, à l’insu de notre plein gré, pour reprendre le lapsus d’un ex-héros de la petite reine. Procédé emprunté à la littérature, déjà expérimenté par Homère dans son Odyssée, le retour en arrière («flash-back») est bien sûr l’une des figures clefs pour faire accéder le spectateur à ce vaste songe, connaissant dans son application audiovisuelle une fortune considérable.

Le songe de l’enfance

Les historiens s’accordent pour faire du réalisateur Ferdinand Zecca (1864-1947) l’inventeur du premier retour en arrière de l’histoire du cinéma. Dans «Histoire d’un crime» (1901), le pionnier raconte le destin édifiant d’un jeune homme perclus de dettes qui cambriole nuitamment une banque. Las, il est surpris par le gardien qu’il poignarde à mort. Arrêté peu après, le meurtrier est pris de remord devant la dépouille de sa victime. La nuit venue, dormant en cellule, le criminel opère alors en rêve un retour en arrière faisant remonter tour à tour à la surface trois souvenirs. De façon symptomatique, le premier d’entre eux évoque l’enfance heureuse du protagoniste promis à la guillotine dès son réveil. Avec une intuition remarquable, Zecca accorde à ce premier flash-back une dimension onirique qui fait douter de sa «réalité». Pour preuve, à l’époque, nombreux furent les spectateurs à penser que le coupable rêvait à une enfance heureuse et non que la sienne l’eût été…

Malick et les frères Dardenne

A l’origine, il y a donc presque toujours l’enfance, rêvée ou non! Dans «The Tree of Life», Terrence Malick n’hésite pas à accorder une dimension cosmique à l’évocation de ce temps révolu qui ne cesse pourtant de nous tirer en arrière, faisant d’un destin contrarié une métaphore d’une amplitude annoncée comme inouïe. Par un tout autre chemin, les frères Dardenne parviennent à un constat identique, mais en s’interdisant l’usage du retour en arrière. Animés par le souci du réel, les réalisateurs du «Gamin au vélo» préfèrent guetter le symptôme, plutôt que d’exposer le fantasme. Partant, ils sont de véritables cinéastes sismographes, enregistrant les innombrables répliques de nos premières secousses intimes et décisives. Extrêmement documenté, «L’Etrangère» participe d’une démarche semblable… Et «Le Chat du rabbin» dans tout cela? Encore autre chose, du dessin animé stéréoscopique, qui plus est! Mais peut-être ne s’agit-il que d’une question de forme, car Joann Sfar est dans la même logique de «chirurgie reconstructive» de nos origines, tout en faisant un joyeux sort à la soi-disant pureté qui lui est hélas encore trop souvent prêtée.

Vincent Adatte