«Comédie, comédies»

Caméra-stylo, programme n°124 |

La comédie est le seul genre cinématographique qui résiste à l’homogénéisation prévalant dans le paysage cinématographique actuel. Deux facteurs peuvent expliquer sa longévité. Primo, le visage d’un producteur s’éclairera toujours à l’idée qu’un cinéaste se pique de vouloir faire rire le grand-public. Secundo, la comédie est un genre dont les critères sont suffisamment flous pour accueillir en son sein tous les particularismes. La preuve, on en tourne dans le monde entier, avec une variété d’expressions quasi infinie! Pour cette même raison, il s’avère assez ardu d’en établir une stricte définition. Des valeureux encyclopédistes s’y sont pourtant risqués. A les entendre, le propre de la comédie est de susciter le rire ou le sourire en mettant l’accent sur le ridicule des personnages, les travers de la société, l’aspect caricatural des situations, etc. Cette définition a au moins un mérite: elle explique pourquoi la comédie s’est acclimaté «urbi et orbi»; rire de soi est à la fois universel, mais aussi extrêmement contextuel, comme diraient les sociologues. Pardonnez-moi ce truisme, mais on ne rit pas encore tout à fait des mêmes choses au Japon, en Suisse ou au Kamtchaka, même si la mondialisation des causes de contraction de nos muscles zygomatiques nous guette…

Un genre protéiforme

Aussi intrépide soit-il, cet essai de définition a cependant le défaut de ne pas prendre en compte les liens étroits que la comédie entretient avec les autres genres cinématographiques. Quid, entre autres exemples gênants, de la fameuse comédie dramatique? Cessons de nous martyriser avec ces tracas lexicographiques, d’autant plus que le problème n’est pas nouveau: officiellement, la comédie est née en Grèce Antique, vers 486 avant notre ère, avec l’institution d’un concours de comédies aux grandes Dyonisies. A en croire Aristote, elle tire son origine théâtrale des lazzi, une sorte de jeux verbaux, que l’on improvisait aux cours des processions phalliques. Les siècles passant, le sous-entendu sexuel est heureusement resté valide, par contre les appellations plus ou moins contrôlées se sont multipliées sur les scènes de théâtre – comédie-ballet, comédie de mœurs, de caractères, à tiroirs, d’intrigue, héroïque, italienne, pastorale, dell’arte, etc.

Du théâtre au cinéma

Les historiens attribuent à Charlie Chaplin la première véritable comédie cinématographique. Il s’agit de «L’opinion publique» (1923) où, de manière significative, Chaplin n’apparaît pas. Très éloigné des burlesques à la Charlot, où le gag physique prime sur la profondeur psychologique, ce chef-d’œuvre méconnu fonde une nouvelle sorte de comique d’observation, qui procède par allusions, avec pour motif principal l’étude de mœurs. Transposée au cinéma (toujours flanquée de son sous-entendu sexuel), la comédie a à nouveau suscité un délire lexical, ce qui en démontre bien la complexité. Là aussi, les dénominations ont essaimé de par le monde: comédie sophistiquée, loufoque, musicale, excentrique, à l’italienne, parodique, dramatique, mélodramatique, politique, et j’en passe et des meilleures… Eh oui, contrairement à ce que pensent les éminences grises qui ont pignon sur rue à Hollywood, les visages de la comédie sont multiples… Allez, contentons-nous de leur reconnaître un seul point commun, l’obligation de divertir!

Vincent Adatte