«Cinéma(s) suisse(s)»

Caméra-stylo, programme n°139 |

A la tête de la section cinéma de l’Office fédéral de la culture depuis octobre 2005, Nicolas Bideau a sans doute le sourire. Alors qu’il s’apprête à rallier les Journées cinématographiques de Soleure, dont le directeur ne l’avait guère épargné à pareille époque, les chiffres du jour parlent en sa faveur. En 2006, le cinéma suisse a atteint les sommets en termes d’audience, grignotant quelque 10% de part de marché, un résultat qui n’avait encore jamais été atteint à ce jour et constituait l’objectif avoué de notre «Monsieur Cinéma suisse». Bien évidemment, la présence d’une «locomotive» comme «Grounding» (plus de 380›000 entrées) n’est pas étrangère à ce record… A l’étranger, le cinéma suisse s’est aussi remarquablement tenu, pour ne pas dire plus! Toujours en 2006, les productions helvétiques ont remporté la bagatelle de septante-deux prix à des festivals d’importance internationale, un chiffre lui aussi tout à fait inédit. Onze films de fiction, onze documentaires et quinze courts-métrages se sont partagé ce précieux butin. A lui seul, «Vitus» de Fredi M. Murer a décroché quatre prix (en attendant l’Oscar), alors que «Ryna» de Ruxandra Zenid en a décroché trois. Notons que cette rafle est aussi le fruit du labeur mené par Swissfilms, l’organisme en charge de la promotion du cinéma suisse à l’étranger.

Populaire mais de qualité

Certains esprits chagrins prédisent que cette embellie ne durera pas. Rien n’est moins sûr. Ainsi, après trente-huit semaines de tournage, «Max & Co» est dans la boîte. Le film d’animation de volume réalisé par Frédéric et Samuel Guillaume jouit d’un budget faramineux atteignant les trente millions de francs, ce qui en fait la production helvétique la plus coûteuse de tous les temps. D’une ambition peu commune pour notre petit pays, cette œuvre destinée à un public familial risque fort d’affoler les statistiques. Lancée par Pascal Couchepin et Nicolas Bideau (si je ne m’abuse), la formule «un cinéma populaire de qualité», qui en fit ricaner plus d’un à l’époque, est peut-être compatible avec les réalités de notre très menue industrie cinématographique, si tant est que les cinéastes parviennent à décrocher des coproductions européennes souvent vitales!

Un cinéma suisse, des cinémas suisses

Pour ma part, l’appellation «populaire et de qualité» n’a rien d’un oxymoron irréductible… Un siècle de cinéma nous le prouve! J’y souscris même volontiers, à la condition près que ce critère ne débouche pas sur une standardisation des productions. A l’image des réalités du pays, le cinéma suisse cultive une grande diversité, comme le prouve l’affiche de Passion Cinéma, où se côtoient des films vraiment très différents. De fait, un abîme sépare «Vitus» de Fredi M. Murer du documentaire d’Andres Brütsch consacré à «l’hiver» prolongé de la malheureuse Madame Kopp. Le film d’auteur low budget du Romand Frédéric Choffat est à des années-lumière des audaces avant-gardistes de l’Alémanique Thomas Imbach qui transpose Büchner dans le microcosme cosmopolite de Zermatt. Démentant le fantasme identitaire qui germe au jour d’aujourd’hui dans l’esprit de certains nationalistes, cette diversité qui n’est pas toujours «populaire», mais souvent de grande qualité, est à défendre, absolument.

Vincent Adatte