«A tire-d’aile»

Caméra-stylo, programme n°81 |

Sans rire, nous devons un peu de l’invention du cinéma aux oiseaux! Désirant étudier le «kinêma» (en grec: le mouvement), le physiologiste Etienne-Jules Marey met au point vers 1890 son fameux fusil «chronophotographique» et braque aussitôt l’objectif de ce dernier sur un vol de pigeons ou de colombes (les versions diffèrent selon les sources); ce faisant, il obtient la toute première série de photographies successives sur une pellicule en Celluloïd. En quelques battements d’ailes, le mouvement et la vie sont enfin captés et fixés dans toutes leurs phases grâce à un support transparent, souple et sensible: le film! La technique cinématographique est en quelque sorte inventée. Certes il lui manque encore quelques améliorations qui seront apportées plus tard par Edison et les frères Lumière, entre autres. Marey lui-même n’aurait pas pu réussir sans les avancées décisives de ses prédécesseurs.

Baptême de l’air

Lors de la «première» commerciale du Cinématographe des Lumière, le 28 décembre 1895 à 18h, les oiseaux sont toutefois les grands absents des dix vues animées proposées aux 33 curieux qui ont payé un franc de l’époque. Certes oui, il y a du mouvement dans l’image, mais l’image, elle, n’est pas en mouvement: c’est la faute à la caméra qui filme en plan fixe et n’a pas encore goûté à l’ivresse du travelling ou du panoramique! Dépêchée par les frères Lumières aux quatre coins de la planète pour capturer les premières images du monde, une armée d’opérateurs échoue donc à filmer les «mobiles» parmi les plus merveilleux du règne animal… les oiseaux! Comme l’a noté l’historien Paul Virilio (et Godard avec lui), c’est l’industrie de la mort qui, dans le fracas imbécile de la Première guerre mondiale, va offrir son baptême de l’air au cinéma et, partant, la possibilité d’accompagner le pélican, l’aigle ou le vautour dans son vol! Fixées aux aéroplanes qui effectuent des missions de reconnaissance au-dessus des lignes ennemies, les caméras dévoilent les stratégies cachées, les mouvements de troupes… Les cinéastes animaliers sauront tirer un profit plus pacifique de ces premiers «vols d’Icare»!

Films à plumes

En huit films, Passion Cinéma montre comment le cinéma a payé de façon magnifique une part de sa dette aux «oiseaux fondateurs» de Jules-Etienne Marey; en survolant à tire-d’aile le programme, l’on y repère trois types de films à plumes; soit des fictions documentées qui donnent la primauté à certaines espèces — des oies dans «L’envolée sauvage», des pélicans sublimes dans l’inédit «Stormboy»; des films reprenant à leur compte le mythe d’Icare — «Birdy» ou «Les années-lumière»; enfin, des œuvres qui jouent plutôt sur la symbolique que l’homme, de tout temps, a prêté aux oiseaux — l’inoubliable et très rare «Des oiseaux petit et gros» de Pasolini… Allez, bon vol!

Vincent Adatte